Dramatik avec un cas… de force majeure !

Il existe une presse spécialisée du rap québ, mais la densité n’est pas sa caractéristique première. Doux euphémisme, ou dangereuse litote, chacun jugera… quoi qu’il en soit, la qualité est généralement au rendez-vous.

Au sein de cette profession (de foi le plus souvent, donc méritoire) nul ne s’est rendu coupable d’une impardonnable hérésie : oublier Dramatik dans le palmarès 2014 !

Dramatik avec un cas, comme il se présente sur « Radiothérapie« , son remarquable deuxième solo. Cas de figure, cas de conscience, cas de besoin… après avoir vraisemblablement été un cas social, sinon clinique, dans quelques dossiers administratifs.

 

La force du vécu

On ne plonge pas ses souvenirs avec délectation dans un précipice frôlé dès l’âge le plus tendre. Dramatik l’a côtoyé de bien trop près pour y voir en premier lieu la très recherchée street credibility. Quand certains pratiquent le grand écart afin de s’en fabriquer une de toutes pièces, lui en appelle à la responsabilisation, individuelle et collective. Dans le but de l’éradiquer, cette misère-là.

Ni lourdeur sentencieuse, ni moralisme aux creuses sonorités. Juste le sentiment bien ancré que de toute éternité, le malheur s’en prend historiquement aux mêmes. Et qu’il est préférable de le combattre que de le glorifier –sans se cacher qu’il reste aujourd’hui un sacré boulot à accomplir.

Le fond s’alliant à la forme, on a droit ainsi à de petits chefs-d’œuvre d’humour cathartique tels que celui-ci, d’une réjouissante facture à l’ancienne :

 

Son engagement ne date pas d’hier. Rappelez-vous ce trio rap dont une femme, tous d’origine haïtienne et opérant dans la seconde moitié des années 90. Hé non ! pas les Fugees (d’ailleurs, les racines de Lauryn Hill sont jamaïcaines)…

MUZION !! J.kyll (Jenny Salgado), son frère Imposs… et Dramatik, auteurs du fracassant « Mentalité Moune Morne » en 1999 (et dans l’ordre inverse d’apparition sur ce clip qui en est extrait) :

 

Le trio s’est dissocié en ne donnant qu’un successeur à ce classique parmi les classiques (« J’rêvolutionne » en 2002… ne pas oublier le circonflexe svp). Mais on connaît peu d’exemples de groupes ayant poursuivi sur leur lancée comme un bateau sur son erre, en récoltant au passage force distinctions. Témoignage supplémentaire de la fantastique longévité des meilleurs outre-Saint-Pierre-et-Miquelon (et alors ? on dit bien outre-Quiévrain). Et aussi, de la diversification de leur champ d’action…

 La plume et le plomb

Biberonnés pour la plupart à cette chère old school US, les rappeurs canadiens se sont vus confrontés à un choix cornélien. Demeurer des adeptes de ce courant-là ; se laisser emporter par une sorte de « dérive nord atlantique » inversée menant droit au Dirty South ; ou décoller avec le vaisseau spatial de la Piu Piu. Panel d’options non exhaustif, bien sûr…

Ce qui est passionnant avec eux, c’est qu’ils aient si judicieusement rebattu les cartes. Et su s’adjoindre les services du comparse idéal pour leur concocter le son approprié.

Cette fois, celui de Dramatik se nomme DJ Horg, autre vieux routier du hip hop québécois. En voilà encore un qui ne s’est jamais raté dans ses nombreuses collaborations (ni 7ième Ciel Records dans ses contrats). Une autre pépite en guise de preuve ? Merci de l’avoir sollicitée, régalez-vous :

 

Auteur des instrus travaillées de « Radiothérapie », il y démontre son éclectisme à toute épreuve en douze prods, pas une de plus.

Indéniablement, c’est sur l’enchaînement initial que Dramatik tutoie l’excellence, déjà chevauchée gaillardement sur « La boîte noire » en 2009. Allons plus loin : même compte tenu de grands albums de l’histoire du rap, on a rarement vu se maintenir un tel niveau sur sept tracks consécutives ! L’extraordinaire puissance des textes de « Aux parleurs » et « L’horreur est humaine » (ce dernier illustrant individuellement la lucide analyse sociétale du précédent), tord littéralement la tripe.

Leur virulence percussive reste de mise dans l’intervalle, quoique sur un registre un peu moins sombre. Comment résister par exemple au bondissant « Jump », invite en bonne et due forme à se remémorer le séminal « Fight the power » de Public Enemy ? Allez, encore une petite gâterie en passant, on ne s’en lasse pas…

 

A peine le temps de se demander si un très édifiant « Ghetto folklore et Génétik » n’est pas la tuerie de l’année, que « Guns, haine, rosaires » prend la relève, sur une rythmique de plomb digne du combo allusivement cité par le titre du morceau.

Et derrière la suffoquante histoire du Ti Jean de « L’horreur est humaine », on en vient presque à craindre l’overdose d’un trop brusque afflux d’oxygène !

Car c’est là que se situe notre seule petite réserve : après s’être élancé sur ces bases monumentales, à grand renfort de cordes majestueuses, l’album semble se diviser en deux parties. Des ambiances plus smooth prennent le pas à partir du très réussi et nonchalant « Do it », où se baladent ces virtuoses du battle que sont Jam (de K6A) et Freddy Gruesum.

Cependant, si la diatribe socio-politique est en retrait dans le final, la dimension autobiographique (« Barbancourt »), l’hommage récurrent aux pionniers (« Rap story »), les canevas soul jazz cuivrés (l’émouvant « Parle-moi »), et la vigoureuse supplique terminale au continent africain (« Brille », avec Awadi le Sénégalais et Ti Bass le Congolais), empêchent la chute de tension. Sans nous ôter de l’idée qu’on vient de subir une fameuse douche écossaise.

Satanée consultation, Dr. Amatik, merci pour tout !

 

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